L’écart de réussite en mathématiques entre les filles et les garçons inexistant avant le Cours préparatoire

Questions à Jean-Paul Fischer

L’écart de réussite en mathématiques entre les filles et les garçons, avec les conséquences professionnelles qui en découlent, est une question qui a fait l’objet d’une attention considérable dans la littérature. Cet écart, mieux connu sous son appellation anglaise « math-gap », favorise les garçons. La différence de performance en mathématiques entre les sexes est une question importante pour la politique éducative et économique. À partir des données de l’étude Elfe, Jean-Paul Fischer, qui a étudié avec Xavier Thierry l’origine de cet écart entre les sexes, a répondu à nos questions.

Pourquoi s’intéresser à l’origine de la différence de performances en mathématiques entre les sexes ?

L’écart en mathématiques peut être considéré comme une expression de l’inégalité des sexes à l’école et dans la société, car il favorise les hommes adultes qu’ils soient jeunes ou plus âgés. Il est parfois considéré comme responsable de la sous-représentation des femmes dans les professions d’avenir en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques.

Peut-on aujourd’hui parler d’une origine innée pour expliquer cette différence de performance en mathématiques entre les sexes ?

Dans un passé relativement récent, le débat portait effectivement sur une origine innée ou sociétale de la différence de performance en mathématiques entre les sexes. Aujourd’hui, l’idée d’une origine totalement innée est difficile à défendre. D’abord, parce que les mathématiques sont un sujet fondamentalement symbolique et abstrait et donc inaccessibles aux bébés et aux tout-petits. Ensuite, parce que même les mathématiques non symboliques, lorsqu’elles sont testées sur des tout-petits, ne conduisent pas à un avantage pour les garçons. Par conséquent, l’origine de l’écart ne devrait pas se situer avant l’âge de 3 ou 4 ans. 

Quelle méthode et quelles données avez-vous utilisées ? 

Les données de l’Etude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) ont été utilisées. Plus de 18 000 enfants ont été recrutés à travers la France métropolitaine. Cinq et sept ans, après leur naissance, la plupart des enfants de l’étude, était scolarisés en moyenne section de l’école maternelle et en première année d’école primaire. Les enseignant(e)s des enfants Elfe ont alors testés sur différentes aptitudes les élèves Elfe et 3 autres camarades de classe non inclus dans l’étude Elfe proprement dite. A ces deux périodes distinctes de leur scolarité, différentes activités mathématiques ont été soumises aux enfants Elfe de l’étude Elfe à l’aide de leur enseignant(e).

Comment s’exprime cet écart de performances en mathématiques entre les filles et les garçons ?

L’écart entre genres en mathématiques favorable aux garçons a largement été observé en première année de l’école primaire, alors qu’un tel écart est inexistant en moyenne section de maternelle. Les filles ont même de meilleurs résultats que les garçons dans l’étude transversale qui porte sur les élèves adjoints aux élèves Elfe dans les classes où ces derniers ont été testés. Si l’on admet que l’écart en mathématiques se développe avec une certaine régularité, l’âge de son origine devrait se situer vers 5-6 ans. La présente recherche montre, à quelle vitesse, en l’espace d’un ou deux ans, certaines influences que je présume en grande partie socioculturelles établissent, dès le Cours Préparatoire, l’écart mathématique entre les sexes en faveur des garçons. Ce développement initial est important car il explique potentiellement pourquoi, dans les classes suivantes ou chez les adultes, cet écart est également observable et peut même, par une sorte d’effet boule de neige, se renforcer. 

Comment expliquer cette apparition aux 6 ans de l’enfant d’une différence de performance en mathématiques selon le sexe ?

Comme notre recherche ne permet qu’une discussion indirecte des causes de l’écart en mathématiques en faveur des garçons, nous ne mentionnons que quelques causes discutées dans la littérature. De plus, bien qu’ils n’excluent pas une interaction entre la biologie et l’apprentissage social, nos résultats précisent l’âge auquel des causes sociétales potentielles pourraient exercer leurs effets et, ainsi, expliquer l’apparition de l’écart en mathématiques en faveur des garçons entre 4-5 ans et 6-7 ans. 

Parmi les constructions sociétales causales les plus mises en avant, les stéréotypes font actuellement l’objet de nombreuses études.

En savoir plus

Fischer JP, Thierry X. Boy’s math performance, compared to girls’, jumps at age 6 (in the ELFE’s data at least). Br J Dev Psychol 2022 https://doi.org/10.1111/bjdp.12423